Fiche technique
Nom original | Hundreds of Beavers |
Origine | Etats Unis |
Année de production | 2022 |
Production | SRH |
Durée | 108 min |
Auteur | Mike Cheslik, Ryland Tews |
Réalisation | Mike Cheslik |
Production | Matt Sabljak, Kurt Ravenwood, Ryland Tews |
Producteur associé | Sam Hogerton, Todd Sobotka |
Scénarii | Mike Cheslik, Ryland Tews (script), Mike Wesolowski (gags) |
Animation | Mike Cheslik |
Direction des effets spéciaux | Mike Cheslik, Jerry Kurek |
Effets Spéciaux | Brandon Kirkham (marionnettes), Patricio Wolovich (maquettes) |
Manipulation | Brandon Kirkham |
Décors | Wayne Tews, Chris Fisher |
Montage | Mike Cheslik |
Direction photographie | Quinn Hester |
Costumes | Casey Harris |
Maquillage | Breianna Harvey, Jenni Schenk |
Musiques | Chris Ryan |
Synopsis
Jean Kayak est l’heureux propriétaire d’une exploitation cidricole dans le Grand Nord. Totalement ivre, il ne réalise pas que les pieds qui soutiennent ses deux grands fûts de cidre sont attaqués par des castors. Si le premier tonneau disparaît au loin, le second finit sa course dans la cidrerie et provoque une explosion qui balaie tout sur son passage. C’est au cœur de l’hiver que Jean se réveille, en proie à la faim et au froid. Pour survivre, il n’a pas d’autre choix que de devenir trappeur et de rapporter des centaines de peaux de castors s‘il veut obtenir le cœur de la fille du marchand.
Pendant ce temps, les rongeurs continuent de récolter du bois pour bâtir une mystérieuse citadelle au milieu d’un lac…
Commentaires
Véritable objet filmique non identifié, Hundreds of Beavers est un film muet en noir et blanc qui invoque la comédie slapstick de Buster Keaton et d’Harold Lloyd ainsi que les cartoons des Looney Tunes (Bugs Bunny et Bip-Bip et Coyote en tête) par le biais d’images composées sous After Effects. Totalement sortie de nulle part, cette œuvre a été conçue par Mike Cheslik et Ryland Tews, deux amis originaires de Milwaukee qui se connaissent depuis le lycée et réalisent des films ensemble.
Après avoir conçu le long-métrage Lake Michigan Monster qui rendait hommage aux films de série B avec un grand sens du burlesque, le duo commence à discuter de leur projet suivant au mois d’octobre 2018 : sont évoquées des souvenirs d’enfance dans la neige avec les luges et les batailles de boules de neige… et aussi des costumes de mascottes (!). Les échanges d’idées mènent à l’élaboration d’une séquence animée par Cheslik qui donnera naissance au concept de Hundreds of Beavers. Comme pour leur film précédent, l’image sera faite d’un noir et blanc granuleux pour gommer l’approximation du compositing. De plus, cette dégradation du réalisme de l’image permet d’abaisser les attentes de vraisemblance chez le spectateur et ainsi autoriser les idées les plus folles.
Pour le script, les auteurs optent pour une structure classique avec un protagoniste au plus bas qui va devoir tout réapprendre pour maîtriser son environnement et se surpasser pour devenir un héros ; cette simplicité narrative est voulue par Cheslik et Tews pour favoriser l’écriture des gags. Des mois d’écriture sont consacrés à l’agencement des situations burlesques pour donner à l’ensemble un rythme harmonieux : le parcours de Jean Kayak, devenu trappeur, est ainsi composé de douze étapes et fera l’objet de cinq boucles avec à chaque fois l’ajout de nouveaux éléments, permettant de faire passer par l’image l’évolution du personnage et de ses capacités. Cheslik se charge de l’animatique en y rajoutant au fur et à mesure les effets spéciaux envisagés pour obtenir la maquette du film la plus précise qui soit ; au total, près de 1500 plans d’effets sont prévus.
Avec le soutien de l’agence de publicité SRH et d’un budget de 150.000 dollars, le film entre en production le 4 janvier 2020. Commence alors pour la petite équipe composée de six personnes un tournage en douze semaines mené sur deux hivers : soit un total cumulé de neuf semaines dans le Wisconsin et trois dans le Michigan dans un climat d’une moyenne de -10 °C ! Les acteurs interprétant les personnages secondaires sont mobilisés pour seulement trois jours, tout le reste du tournage reposant sur les épaules de Ryland Tews et de ses amis en costumes d’animaux qui évoluent dans la neige ; les nombreux éléments sur fond vert sont également tournés en extérieur dans les mêmes conditions climatiques.
Le montage et la post-production se font en parallèle : la quasi intégralité des plans est retravaillée sur After Effects, certains cumulant cinq à six éléments filmés dans des endroits et des périodes différentes. Six acteurs en costumes d’animaux sont dupliqués numériquement pour les scènes de foule, le tout sur des décors mêlant éléments naturels (dont la cabane du marchand) et photos prises sur le site Shutterstock.
Le film est achevé en septembre 2022, juste à temps pour assurer l’ouverture du Fantastic Fest d’Austin. Suivront d’autres festivals durant lesquels Hundreds of Beavers sera de multiples fois nominé ou récompensé (dont le Prix de Bronze du public au Fantasia de Montréal de 2023). En dépit de l’accueil réservé, les distributeurs refusent de signer le film, le jugeant invendable par le choix du noir et blanc, l’absence de dialogues et de célébrités au casting. Pourtant, le coproducteur Kurt Ravenwood estime qu’une sortie dans les salles de cinéma reste le meilleur moyen de faire exister le film, au lieu de le noyer dans l’offre numérique du streaming. Il vend alors les droits de diffusion en VOD à Cineverse mais conserve les droits sur l’exploitation en salles, les produits dérivés et les Blu-ray. Avec un total de 25.000 dollars pour le marketing, Ravenwood souhaite bâtir une véritable image de marque autour du film, en en faisant un événement immanquable qui fédère de nouveau les foules suite au sentiment d’isolement qui a été exacerbé durant la pandémie de Covid-19, avec une proposition rafraîchissante au sein d’un paysage formaté en matière de divertissement, où l’imperfection formelle devient une forme d’authenticité.
Pour cela, le producteur contacte différentes salles de cinéma pour y programmer une séance nocturne unique. Le 26 janvier 2024, la ville de Minneapolis inaugure le Hundreds of Beavers Great Lakes Roadshow, une tournée de quatorze jours dans le Midwest, jusqu’à Toronto. À l’issue de chacune des projections, Ryland Tews se livre à un véritable spectacle de vaudeville en affrontant sur scène plusieurs castors (dont les costumes ont été ressortis) tandis que Mike Cheslik, sur un ton théâtral, se livre à des sessions de questions/réponses avec le public. Les salles affichent complet pour la plupart, le moindre dollar est réinvesti pour maintenir le marketing et lancer une ligne de marchandising, avec le soutien des fans qui publient sur les réseaux sociaux de nombreuses images détournées avec les fameux castors. La presse s’empare du phénomène et des cinémas prestigieux comme l’IFC Center de New York ou le Laemmle Royal de Los Angeles demandent à diffuser le film pour répondre à la demande grandissante du public. L’opération est un véritable succès avec 11,7 millions de spectateurs pour 1,3 millions de dollars récoltés. La presse est dithyrambique tandis que Daniel Scheinert, le co-réalisateur du film Everything Everywhere All at Once (2022), considère Hundreds of Beavers comme « le futur du cinéma ».
Avec cet hommage à la comédie slapstick et au cartoon, Cheslik et Tews renouent avec l’approche plastique du corps où les chutes, acrobaties et coups sont déployés dans un esprit surréaliste. Le protagoniste ne se limite pas à un simple être humain et devient tour à tour un pantin, un punching-ball et un surhomme en un clin d’œil ; et le fait de donner un traitement anthropomorphe aux animaux avec des costumes bon marché (achetés sur Amazon) ajoute à la dimension absurde de l’ensemble. Chaque plan fait appel à une composition lisible pour donner pleine mesure au gag, lequel par sa simplicité formelle via After Effects acquiert un charme qui évoque l’approche spontanée et « do it yourself » des films de Michel Gondry. Mais Hundreds of Beavers n’hésite pas également à s’inspirer des jeux vidéo dont il reprend la structure (le gain d’expérience du héros), l’imagerie (le déplacement d’un avatar dessiné sur une carte, les items à débloquer dans la boutique du marchand), voire le level design (la forteresse des castors). La force du film réside ainsi à la fois dans cette assimilation de références diverses, délivrées avec clarté, et dans la logique de répétition des gags, sans cesse peaufinés et déclinés sur un rythme qui ne faiblit jamais, pour culminer dans une folie toujours plus décomplexée.
Film culte instantané, Hundreds of Beavers rend hommage à l’humour slapstick avec une jubilation communicative.
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