An Oversimplification of Her Beauty

Editions
Sortie en DVD4 mars 2014 (Damned Films)
Synopsis

Imaginez que vous rentrez chez vous après une épuisante journée de travail et que vous constatez que la femme de votre vie a cherché à vous joindre. Vous la rappelez et elle vous annonce qu’elle ne pourra finalement pas venir ce soir.
À cet instant précis, comment vous sentiriez-vous ?

Imaginez maintenant que de cette histoire vraie, vous en tirez un film que vous présentez comme une fiction. Le film marche, vous multipliez les rencontres, votre regard change. Sur vous, sur elle, sur le film…
Vous sentez que vous n’avez pas tout dit.
Alors vous décidez de refaire le film, que vous agencez à l’intérieur d’un film plus grand – celui dont vous lisez le synopsis en ce moment même.
À cet instant précis, comment vous sentiriez-vous ?

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Film-gigogne au développement complexe, An Oversimplification of Her Beauty commence en mars 2006 avec la réalisation d’un court-métrage intitulé How Would You Feel ?. Conçu par Terence Nance, étudiant en art à l’université de New York, ce film de 40 minutes fut écrit en une nuit après que son auteur se soit fait poser un lapin par Namik Minter, la jeune femme dont il est épris.
Porté par une voix masculine grave et formelle s’adressant directement au spectateur, le récit part d’une situation initiale – la visite annulée de l’être aimé – pour arriver à la question comment vous sentiriez-vous ?. À la manière d’un exercice de style à la Raymond Queneau, l’histoire est racontée de nouveau mais en ajoutant davantage de contexte avec le déroulement général de la journée de travail…
Puis sur la nature de la relation avec cette femme…
Puis sur les circonstances de la rencontre etc., donnant ainsi à chaque fois un peu plus de résonance à la question rituelle comment vous sentiriez-vous ?. Après quoi sont passés en revue les multiples états émotionnels liés à cette situation avant d’être confrontés à la réalité des faits.
Le film, présenté comme une fiction lors de sa première projection publique le 6 juin 2006, reçoit un bon accueil mais Terence Nance ressort frustré de l’expérience, estimant ne pas avoir dit tout ce qu’il souhaitait exprimer. Après avoir terminé ses études (sa relation romantique avec Namik ayant entretemps pris fin), il part s’installer un temps à Paris ; là-bas, il décide de reprendre How Would You Feel ? et de l’étendre à l’échelle d’un long-métrage en refaisant le film tel quel et en agençant ses différentes parties avec des séquences inédites qui intègreraient des éléments ouvertement autobiographiques. Ainsi naît le projet An Oversimplification of Her Beauty qui mobilisera son auteur durant 6 ans.

Considérant ne rien n’y connaître en matière d’écriture filmique, Nance va alors adopter une approche instinctive en laissant la forme globale de son film évoluer en cours de route au gré de ses influences multiples entre le cinéma (Lars von Trier, Jørgen Leth, Federico Fellini), la littérature (Louise Erdrich, Toni Morrison) et la musique. Plus que les films des réalisateurs qu’il admire, c’est surtout le blues qui constituera le fil rouge de sa démarche, non seulement dans l’idée même de ce genre musical – la consécration d’une expérience négative transformée en quelque chose de beau – mais aussi dans l’articulation du récit à la manière d’une chanson selon une structure couplet-refrain, le tout pensé en termes de chorégraphie du point de vue du montage et de mouvement des images via le mélange des techniques.
Durant l’écriture, l’apprenti-réalisateur dégage rapidement les différentes thématiques qu’il compte aborder individuellement : son rapport aux femmes au travers de ses anciennes histoires d’amour, son incapacité à avouer ses sentiments, son recul par rapport à ces souvenirs que la réalisation même du film réactive, etc. Pourtant, il n’a aucune vision exacte du résultat final, se préoccupant avant tout des différentes façons de véhiculer l’émotion chez le spectateur avant de penser son film hybride comme un ensemble cohérent. Il entend proposer une expérience ambigüe entre réalité et fiction par l’association d’une voix-off au langage très factuel avec des images symboliques, le tout avec une narration à la 2e personne pour anonymiser les protagonistes et engager le spectateur de façon active.

Ayant eu l’occasion de faire de l’animation dans le cadre de ses études d’art, Nance décide très tôt d’intégrer des séquences animées, chacune dans un style différent afin de séparer les différentes expériences émotionnelles et restituer leur singularité propre ; idem pour les séquences live qui multiplient les formats entre la mini-dv, la caméra de téléphone portable du milieu des années 2000, l’appareil photo numérique ainsi que de très rares passages tournés en pellicule.
Ce sont d’ailleurs ces parties en prise de vues directes qui seront faites en premier, à commencer par une semaine de tournage pour celles qui reconstituent How Would You Feel ?. Après un mois de montage, Nance présente le résultat à Namik qui va devenir très active dans le développement de An Oversimplification of Her Beauty : interview de la principale intéressée, séance de lecture du roman The Bingo Palace de Louise Erdrich, idée d’un film-réponse réalisé par Namik elle-même (dont les seules images seront intégrées au montage final sous la forme d’une bande-annonce)… la matière prend forme petit à petit.
Concernant les parties animées, Nance prend contact avec des artistes du monde entier comme l’animateur allemand Markus Kempken qui se chargera de l’essentiel des scènes en 2D ou encore le duo britannique Leo Nicholson et Natasha Harrison pour les passages en stop motion. Va alors commencer la partie la plus longue de la production entre les animateurs, les assistants et le réalisateur : l’équipe étant principalement composée de bénévoles, les différents membres vont et viennent, Nance avance du mieux qu’il peut sans savoir où il va, ni montrer l’avancement du projet à quiconque.
C’est au bout de 6 ans de production et de remaniements multiples qu’il parvient à livrer un montage brut au comité du festival de Sundance. Sitôt ce montage validé, le réalisateur lance une campagne sur Kickstarter afin de financer la post-production (mixage et étalonnage) ainsi que la communication et les dépenses annexes pour le festival. L’objectif initial de 15.000 dollars est dépassé avec un total de 20.456 dollars, An Oversimplification of Her Beauty est achevé dans les temps et connaîtra un beau succès dans les cercles du cinéma indépendant.

Alors que la plupart des films hybrides présentent animation et prises de vues directes dans un rapport de confrontation (humains et toons dans Roger Rabbit, réalité et rêve dans Rock-O-Rico, espaces concomitants dans Osmosis Jones), Terence Nance préfère penser les registres d’images dans un rapport de complémentarité ; l’animation intervient lorsque la prise de vues directes à elle seule ne suffit plus en termes d’expressivité, tout particulièrement lorsqu’il est question à la fois de dépeindre des émotions – qui relèvent de l’immatériel – et d’interroger la réalité de ces émotions altérées par le temps (démarche qui était déjà au cœur de Valse avec Bachir d’Ari Folman). Le choix d’une animation 2D au tracé vibrionnant et aux textures marquées apparaît comme le moyen idéal de dépeindre cette confusion des sentiments mêlée au manque de prise sur les événements ainsi qu’à la volonté d’y trouver du sens. Quant à la stop motion, avec son effet de présence physique face à la caméra, celle-ci permet de dépeindre Nance comme un pantin enfermé dans des schémas mentaux l’amenant à répéter les mêmes erreurs tout en étant incapable d’exprimer clairement ses émotions (la figurine le représentant étant en bois sculpté, sans la moindre expression).
Conformément au souhait du réalisateur de monter son film selon la structure couplet-refrain d’une chanson, chaque partie de How Would You Feel ? est suivie de plusieurs chapitres de An Oversimplification of Her Beauty, certains se succédant parfois selon une numérotation fantaisiste due au remaniement constant du montage durant la production. Au film d’origine s’ajoutent donc de nouvelles séquences faisant office de métatexte en couvrant les aspects sous-entendus par l’œuvre elle-même mais aussi l’impact de cette dernière sur la vision de l’auteur en matière de relation romantique ; cette idée de film s’alimentant de lui-même dans le développement de son propos sera d’ailleurs reprise par Michel Gondry en 2013 dans sa Conversation animée avec Noam Chomski. Sur ce bouillonnement de pensées se pose la voix-off masculine, sentencieuse et sans émotion, qui reste très factuelle et s’efforce de donner du sens à ces situations que Nance s’amuse à détricoter, tout en jouant sur le fait qu’il s’agit au départ d’une histoire vraie et qu’il a conscience de ne donner que sa version des faits.

Film situé entre animation et prises de vues directes, entre documentaire et fiction, à la fois complexe et ludique, empreint de gravité et de légèreté, très personnel et pourtant universel à force de plonger à la source des multiples circonstances qui tissent les relations humaines, An Oversimplification of Her Beauty est une œuvre unique qui montre comment l’image sous toutes ses formes peut être mobilisée pour dépeindre l’âme humaine, notamment durant cette période confuse située entre la sortie de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. Quant à Terence Nance, celui-ci poursuivra sa carrière dans le domaine du court-métrage avant de se lancer dans la série télé avec Random Acts of Flyness (2018) produite par HBO, dans cette même veine hybride. Chose plus surprenante, cela lui vaudra d’être repéré par la Warner pour être le réalisateur de Space Jam 2 ! Mais ceci est une autre histoire…

Acteurs & Actrices
Terence NanceVous
Namik MinterElle
Auteur : Klaark
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© Terence Nance / Media MVMT, Variance Films, The Cinema Guild
Fiche publiée le 04 avril 2023 - Lue 2158 fois